samedi 31 mars 2012

Article - L'industrie française de Défense à l'heure des élections (DSI d'avril 2012)

Le très attendu DSI consacré aux élections présidentielles en France est disponible depuis peu en kiosque et déjà ou bientôt dans vos boîtes aux lettres. Six candidats (Bayrou, Le Pen, Hollande, Mélanchon, Sarkozy et Joly) y présentent leur politique de Défense. Utile pour se faire une idée à un peu moins d'un mois du premier tour (cf le sommaire).

Bien que non candidat à cette élection, j'y signe néanmoins un article sur l'industrie de Défense française à la veille de ces élections. Quels enjeux ? Quelles réponses ? Article bilan, il essaye aussi de présenter les défis de demain et de donner quelques pistes pour le futur. N'hésitez surtout pas à me faire parvenir votre avis.

En France, ce n’est qu’à la marge que le sujet de l’industrie de Défense s’immisce dans les débats publics précédant les élections présidentielles. Néanmoins, quelques événements permettent de dépasser les grandes déclarations d’usage rappelant l’importance de ce secteur et la nécessité de ne pas l’abandonner pour préserver l’indépendance stratégique de la France. Ces avertissements se répètent année après année, révélant à la fois la permanence du diagnostic et la non-administration jusque alors des remèdes prescrits.

[...]

Et pourtant, loin de représenter uniquement un enjeu traité par les spécialistes estampillés « Défense » de chaque parti, l’industrie de Défense française et sa politique industrielle afférente mériteraient que chacun s’y penche. En effet, les incertitudes et les défis sont nombreux. Or, les questions qui se posent aujourd’hui sont, généralement, les mêmes qu’il y a plusieurs années et qui sont soit restées depuis sans réponse soit qui n’ont pas dépassé le stade de « il faudrait que ».

jeudi 29 mars 2012

Fiche de lecture - "Le militaire en opérations multinationales" par Delphine Resteigne

Delphine RESTEIGNE, Le Militaire en Opérations Multinationales. Regards Croisés en Afghanistan, en Bosnie, au Liban, Bruylant, RMES, Bruxelles, 2012.

Du fait de différents facteurs (géopolitiques, économiques, technologiques, socio-culturels, etc.), l’action des forces armées a, ces dernières années, de plus en plus tendance à s’inscrire dans un cadre multi acteurs. Il est caractérisé à la fois par la présence en un même lieu de contingents de différentes nationalités ainsi que par la présence à un niveau élevé d’acteurs civils (population, experts, etc.). Ces caractéristiques ne sont pas sans conséquences pour l’action des militaires. Elles influencent au quotidien sur le plan organisationnel et culturel leur mission.

S’appuyant pour son étude sur le cas des militaires belges, Delphine Resteigne décrypte ces rapports entre acteurs et propose une modélisation de la coopération militaire pour aider à comprendre les pratiques observées et les interactions. Pour cette enseignante en sociologie à l’École Royale Militaire belge, ce travail est l’aboutissement d’un doctorat qui s‘appuie sur une importante enquête de terrain. Les entretiens, les observations et les questionnaires ayant été menés auprès de militaires belges, en garnison et en opérations, principalement au Liban, en Bosnie et en Afghanistan.

À première vue, la première partie de l’ouvrage qui fait un état de l’art très complet de la sociologie militaire (une sociologie d’ailleurs typiquement militaire, et non une sociologie des organisations plaquée au fait militaire) peut sembler ardue. Au contraire, notons que cette partie est extrêmement didactique et lisible, même pour un néophyte comme je le suis. Les grilles de lecture théoriques d’organisations comme celles que sont des forces armées en opérations ne sont pas dénuées d’intérêts. Elles permettent de mieux saisir le jeu des facteurs culturels et des évolutions (internes ou externes) sur les configurations organisationnelles de tels ensembles et sur les pratiques mises en œuvre.

Dans une seconde partie, l’auteur dissèque la culture militaire, en particulier l’emboîtement de différents groupes d’appartenance de chacun des militaires qui se confrontent dès lors qu’il s’agit d’opérer ensemble. Les différentes valeurs, croyances et normes (conscientes ou inconscientes) de chacun des militaires sont en effet variables : culture nationale, linguistique, différenciation nationale, appartenance à une unité parachutiste ou à d’autres unités, etc. Mais toutes jouent avec plus ou moins de force sur les interactions entre individus, sur les contacts, sur les dialogues, sur les aprioris, etc. Là encore, les modèles possibles sont expliqués de manière compréhensible.

Peut-être un peu vague jusque là, l’intérêt d’une telle dissection sera plus clair lorsque l’auteur se penchera sur les études de cas menés, comme indiqué précédemment, au Liban, en Bosnie et en Afghanistan durant la période 2005 - 2008. Être dans un camp multinational comme peuvent l’être de nombreuses bases actuelles n’est pas sans conséquence pour gérer cette diversité à la fois interne à l’armée belge (francophones et néerlandophones, homme ou femme, air / terre / médicale, années d’ancienneté, etc.) mais aussi externe : contexte multinational, rapport avec les civils (au sein de PRT par exemple), avec les populations, etc.


Qu’en retire l’auteur ? Au final, prime l’adaptation et la flexibilité face aux contraintes de ces opérations multinationales, et cela, malgré le fait qu’une certaine culture militaire transnationale tendrait à émerger après des années d’expériences en commun. Pour le « modèle managérial » dominant de l’officier d’aujourd’hui, différents facteurs sont à noter comme conduisant à une meilleure coopération : la composition du personnel extrêmement hétérogène qui oblige à s’ouvrir, une différence culturelle moyenne (facilités pour les pays de la zone America, Britain, Canada and Australia, ou des pays très otanisés), le degré de cohésion des détachements (difficultés avec des détachements individuels ou de circonstance), des activités plus technologiques qui rapprochent (le cas des aviateurs ou des démineurs par exemple), le degré d’affiliation à certaines organisations (une cohésion plus forte semble exister au sein de l’OTAN par rapport à l’UE), la maîtrise des langues (point d’importance plusieurs fois soulevé), etc.

Rien d’automatique et de systématique dans ces analyses et ces conclusions, évidemment. La pensée se veut globale mais non totale. Pour l’auteur, découle donc un modèle (critiquable, du fait même que c’est un modèle…) de coopération militaire multinationale liant facteurs structurels et culturels, facteurs de coopération et pratiques professionnelles + interactions. Il s’apparente à une clé de lecture pertinente de nombre de pratiques qui peuvent être rencontrées au sein des armées belges mais aussi, à un degré non négligeable, au sein des armées françaises.

mercredi 28 mars 2012

Entretien - « Replacer l’armée dans la Nation » avec le CBA Hugues Esquerre

« Il est plus que nécessaire de rapprocher les armées de la Nation, pour l’intérêt des armées, mais aussi pour celui de la Nation ». Voici en quelques mots la thèse défendue par le chef de bataillon Hugues Esquerre (breveté de l’École de Guerre), auteur d’un essai récemment paru chez Economica (disponible ici sur le tout récent site de ces éditions). Pour comprendre le pourquoi et le comment de cette question qui touche civils et militaires, Mars Attaque l’a rencontré. Nous le remercions.

Est-ce si évident aujourd’hui que l’armée de la Nation soit aussi l’armée dans la Nation ? Est-ce nécessaire ? Non à la première question et oui à la seconde répondrait l’auteur qui en une centaine de pages dresse un constat (et explique comment nous en sommes arrivés là), appelle à un changement et propose des pistes de réflexion et d’action « non niaises » pouvant être facilement mises en place.

Car aujourd’hui, « l’a-militarisme de la société française », qui mêle à la fois distance, sympathie mais ignorance, ne peut cacher l’indispensable urgence pour tous à ce que les Français retrouvent leur armée. Le défi n’est pas des moindres et il est exposé en ses termes : «pour que les armées conservent leur utilité, qui passe par leurs capacités à se projeter à l’extérieur et non à rester sur une ligne Maginot au plus prêt des frontières, il est nécessaire de mettre en avant les missions menées auprès des Français. C’est à dire celles conduites sur le territoire national, au plus près de leur préoccupations, afin de pouvoir ensuite justifier à leurs yeux le cœur de l’action – la projection extérieure –, en particulier en garantissant les budgets ». D’ailleurs, un récent sondage de l’IFOP, qui ne reste qu’un sondage mais tout de même, relève cette urgence (ou du moins cette nécessité) : 37% des sondés indiquent que le secteur de « la défense, l’armée » devrait faire l’objet de restrictions budgétaires en cas de réductions des dépenses. Il est ainsi placé en tête parmi les autres secteurs possibles.

C’est donc rebattre les cartes du débat visibilité vs utilité et c’est « se pencher sur les centres d’intérêt prioritaires des Français que les armées doivent pouvoir, en partie, satisfaire ». Or, celui de la défense est loin d’être la première préoccupation des Français. En exemple, l’auteur cite le fait que « les armées doivent réinvestir le champ social, préoccupation plus partagée, comme celui de l’insertion professionnelle via des dispositifs adéquats de formation (comme le développement en métropole du Service Militaire Adapté ou SMA), ou encore en mettant en avant les passerelles possibles permettant une véritable promotion sociale par l’ascension des différents échelons de la chaine hiérarchique ».

Pour cela, il faut que les armées « rééquilibrent l’attention portée à l’extérieur et celle portée au territoire national ». Il est à la fois nécessaire « de convaincre, d’expliquer et de s’intéresser à cela ». Si les armées ne sont pas les forces à tout faire des autorités préfectorales, et ne doivent pas le devenir, « elles peuvent tout de même faire un véritable effort dans l’amélioration de la crédibilité de la chaine de commandement territorial, aujourd’hui vue avec circonspection ». Valoriser le choix des délégués militaires départementaux et des autres éléments de l’OTIAD (Organisation territoriale interarmées de défense) est une des pistes mises en avant pour que « les armées ne restent pas, parmi les diverses institution de l’État, seulement un corps dont l’image est globalement bonne, mais que l’on n’écoute pas ».

Pour relever ce défi de la réintégration des armées au sein de la Nation, plusieurs actions peuvent être menées (à effectifs et budgets contraints). L’auteur cite en exemple la nécessité «du retour des militaires à un rôle moins passif dans les décisions en réintégrant les cercles décisionnels, tout en étant des conseillers et donc plus que de simples techniciens de leur domaine. Les militaires se doivent de rencontrer, d’aller à la rencontre des décideurs à tous les niveaux. Ils doivent réinvestir les grandes écoles en améliorant les liens avec elles, en intégrant, par exemple, une place dans le jury de l’ENA au poste tournant attribué à tour de rôle à tous les grands corps de l’État ». Aujourd’hui en mobilité externe au sein du ministère du Budget, l’auteur parle de son expérience pour ces postes à ne pas sous-estimer afin de créer des ponts. Que dire ensuite de « la politique des réserves, éternelle question, où, typiquement, lors de la journée nationale des réservistes, les réservistes parisiens sont tous réunis dans un amphi à l’École Militaire, entre eux. Ils pourraient plutôt être envoyés au contact de la population, de manière visible, en étant sur leur lieu de travail en uniforme ».

Enfin, vaste débat que celui de « la libération de la parole des militaires, dont le degré d’expression est généralement un bon indicateur de la santé des armées et de la Nation ». On relèvera avec intérêt que « la jurisprudence de la justice administrative s’avérant plutôt protectrice pour les militaires, un des principaux blocages à la prise de parole est bien l’autolimitation des militaires eux-mêmes ». Car sans sous-estimer les blocages indéniables qui peuvent se situer au niveau politique ou à celui de la haute hiérarchie militaire, il y a « une marge de manœuvre à saisir, parfois non saisie par les militaires ».

Or, « pour tout cela, il ne faut rien attendre des civils ». C’est donc aux militaires d’en être convaincu (1ère étape) et ensuite de convaincre et d’agir (2nde étape). Ainsi, si l’ouvrage s’adresse aux civils comme aux militaires (on saluera pour cela le style très clair et didactique), force est de constater qu’il y a de sacrés appels du pied aux camarades militaires de l’auteur. Ainsi, prochainement, et de manière symbolique, « le député Yves Fromion, qui préface l’ouvrage, ne sera peut-être plus le seul représentant de la Nation à l’Assemblée Nationale a avoir connu une première vie sous l’uniforme, au sein de l’armée de Terre ». C’est du moins ce que l’on pourrait souhaiter.

Article publié simultanément sur l'Alliance Géostratégique.

jeudi 22 mars 2012

Après Toulouse, le temps des questions : vraiment ? lesquelles ? (+ MAJ)

Faut-il joindre sa voix à commentateurs qui dissèquent sous toutes ses coutures l'opération de Toulouse ? Si oui, de quelle manière ? Au nom de quelle expertise ? Sur la base de quelles informations ? Pour quel intérêt derrière ? Charognard disséquant le cadavre encore tiède de l'opération, je lance quelques avis...

Opérer dans un environnement hyper-informationnel

Le plantage en direct de BFM TV qui annonce, hier, vers 14h l'arrestation du scootueur, la balade des médias (avec leur part d'idéologie bien pensante... hum hum) qui recherchaient les jours précédents un néo-nazi ou un ancien militaire, etc. devraient nous faire réfléchir à notre aptitude à donner un avis juste, aussi étayé soit-il. Là, il y a une réflexion légitime.

C'est aussi ça la com' de crise : les enquêteurs ont laissé les journalistes chercher dans la mauvaise direction alors qu'ils avaient de sacrés doutes depuis quelques jours, le président et les ministres qui communiquaient, avaient comme consigne de dire qu'ils n'en savaient rien (à tort). L'enfumage maîtrisé a réussi (en particulier pour ne pas rendre méfiant le suspect).

L'hyper-information, qui nous sature d'informations, nous fait croire, avec la masse d'informations à laquelle nous pouvons avoir accès, que nous pouvons porter un jugement, qui s'il n'est pas tranché, est assez ferme pour avoir une certaine autorité. Reconnaissons au-moins une place au doute scientifique...

Réfléchissons ainsi sur le rôle des médias en opérations, sur la gestion des messages, sur nos réactions aux informations, sur notre rôle dans la propagation des rumeurs, etc. En tant que chaînon de ces processus, nous avons ici sans doute toute notre place pour donner un avis et apporter notre expérience.

Le RAID s'est planté, Chuck Norris aurait fait mieux

Bras armé du pouvoir politique, le RAID avait reçu de ce denier la mission d'interpeller vivant Mohammed Mehrad (sachant qu'en cas de légitime défense, la vie des hommes du RAID, prévaut sur celle de l'individu en face). L'intervention, qui n'est pas une science exacte, a été tentée mais n'a pas réussi de manière optimale : c'est un fait.

Plutôt que de savoir si le RAID aurait dû lancer quatre (comme le fait le GIGN) et non trois grenades de type flash-bang avant de pénétrer (j'invente, mais les commentaires lus et entendus sont de ce niveau...), laissons ces détails ultra-techniques et tactiques aux rares professionnels de la chose qui débrieferont à chaud et à froid.

Des erreurs seront sans doute soulevées (sachant que, comme à la guerre, l'épreuve de force était un duel de deux volontés et de deux intelligences...) afin de déterminer pourquoi le suspect n'a pas été interpellé vivant. Pourquoi la première opération à 3h du matin hier n'a pas été assez discrète pour l'interpeller une première fois ? Etc.


Les hommes du RAID, leur patron en tête

RAID vs GIGN : la part de l'affect ?

Après avoir salué l'action réellement extraordinaire des hommes du RAID et des différents services (DCPJ, DCRI, DPSD, DGSE, etc.), faut-il relancer avec plus ou moins de diplomatie la querelle lourde de sens et d'arrière(s) pensée(s) entre RAID et GIGN ? entre Police et Gendarmerie ? Peut-on trancher intelligemment ?

Jean-Dominique Merchet tente, mais apparemment il s'y casse une dent. Il doit mettre à jour son article et retirer un détail indiquant que le directeur général de la gendarmerie nationale (autorité du GIGN) aurait donné hier un avis extrêmement sceptique sur la manière de procéder du RAID : détail retiré car non vérifié ? car trop polémique ?

Qu'importe, c'est rentrer dans une querelle où certains relèveront la préférence du président de la république à la Police, donc au Raid, que Toulouse était une agglomération provinciale donc du ressort de la Police, donc du RAID, que l'enquête avait été confié à la direction centrale de la Police Judiciaire, qui a fait appel à son unité d'intervention, donc le RAID, etc.

Chacun des deux groupes, extrêmement compétents (difficile pour l'observateur extérieur de différencier leurs points forts et faibles), est dans une logique de survie pour se légitimer, innover en permanence, toujours tendre vers l'excellence. Sans oublier, que sur le plan personnel, et du fait de leurs mandats, de nombreux échanges ont lieu entre ces unités.

Aujourd'hui, le sens du vent semble être du côté de la Police, plus que de celui de la Gendarmerie qui subit la lente disparition de sa "militarité" (à part dans certaines missions comme en Afghanistan, encore faudrait-il qu'ils en fassent la promotion...). Cette même Gendarmerie qui craint à terme de n'être qu'un doublon, pouvant être donc jugé comme non différente et non légitime.

Difficile à notre niveau de décortiquer le processus de décision politique qui a conduit à l'emploi du RAID. Peut-être pourrions-nous plutôt revenir sur le concept capillo-tracté de "continuum sécurité-défense" avec des attributions floues, voir redondantes, pour différents services ou unités. A-t-il éclairé la situation ou a-t-il rendu l'ensemble plus chaotique ?

Présomption d'innocence vs présomption de culpabilité ?

Dernier point enfin, relever la schizophrénie des personnes se plaignant que, malgré son lourd passé et passif (voyages en Afghanistan et au Pakistan, entre autres), l'individu recherché n'a pas été arrêté avant de commettre ses actes. Connu et plus que fiché dans les fichiers de la police, n'aurait-il pas été possible de l'empêcher de passer à l'acte ?

Est-ce que s'il n'avait pas été arrêté préventivement, des bonnes âmes n'auraient-elles pas crié au viol des droits de l'homme ? à la négation de la présomption d'innocence du fait qu'il n'était pas passé à l'acte ? aux dérives de l'anti-terrorisme ? à l'instauration d'un état policier ? J'en passe et des meilleurs...

L'individu était connu des services (nous savons aujourd'hui publiquement qu'une petite parcelle de ce que ces services connaissent sur lui, sans nul doute). Il était parmi un ensemble important d'individus pouvant potentiellement passer à l'acte (rien d'automatique néanmoins), donc bénéficiant de l'attention des services. N'est ce pas une bonne chose ?

Son profil, qui reste à déterminer (est-il réellement un loup solitaire qui s'auto-radicalise alors qu'il semble avoir bénéficié de l'appui de cellules et de filières?) a rendu complexe la détermination du passage à l'acte. Néanmoins, son profil n'est pas inédit et s'apparente, du simple fait de son existence, à une réalité possible du terrorisme actuel.

Comme le rappelait Jean-François Daguzan, la France démantèle plusieurs réseaux terroristes par an. Or, cela ne fait pas toujours les gros titres et pourtant c'est une réalité qui est pour nous, simple citoyen, généralement bien méconnue ou oubliée. Or, tant mieux que d'autres s'en occupent à notre place, avec leurs défauts, mais semble-t-il avec un certain succès...

PS : j'attends l'analyse d'Abou Djaffar qui ne s'était pas vraiment planté la dernière fois... et qui démontera comme il faut ces quelques remarques de néophyte...

MAJ 1 : dernier détail, je suis déçu de voir que la réflexion n'ait pas pris le pas sur les déclarations...

" Toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l'apologie du terrorisme sera punie pénalement" NS

Et les chercheurs ? Et les membres des services ? Et les curieux ? Etc.

L'instrumentalisation, c'est maintenant ! Elle ne nous avait vraiment pas manqué cette campagne (jamais vraiment arrêtée...) !

mercredi 21 mars 2012

Le FELIN en Afghanistan : vrai banc de test de la modularité du système

Après une précédente agitation lors de la parution des premières photographies du système FELIN en Afghanistan, l'attention à ce sujet est un peu retombée.

J'avais écrit à l'époque quelques remarques, en particulier sur la modularité du système et sur la discrétion qui entourait son premier déploiement en opérations (attitude dommageable, à mon avis, dans le cadre d'une non-campagne d'influence opérationnels-industriels). Car en étant les premiers à le déployer, la France pouvait se réjouir.

En furetant ici ou là (rassurez-vous seulement sur des sources ouvertes librement disponibles sur Internet), j'ai trouvé une photo pas inintéressante. Elle montre le système FELIN du fantassin français opéré le 15 janvier, sans doute par le 1er RI (régiment d'Infanterie), dans le district de Surobi au Nord-Est de la capitale Kaboul.

Le petit détail marquant est l'utilisation de l'imposante lunette optronique qui équipe le FAMAS félinisé, technologie qui décuple les capacités d'observation jour/nuit et d'agression (en particulier avec un taux de tirs au but au-delà des 300 mètres apparemment supérieur à la version précédente du FAMAS).

Le militaire équipé de cette lunette est ici en mission de surveillance d'une base avancée située dans la tristement célèbre vallée d'Uzbeen. N'ayant pas pour cette mission à crapahuter sur les hauteurs, il s'est muni de cette lunette, qui alourdit un fantassin déjà bien chargé (cf. étude de l'IFRI sur cette question).

Encore une illustration de la modularité possible des différentes versions du FELIN : selon les missions, des équipements sont pris ou non par les opérationnels. Encore une illustration que ce mandat du Battle Group Picardie est un banc de test poussé de l'utilisation d'un nouveau système en opérations. Affaire à suivre...

lundi 19 mars 2012

L’appui-feu et la guerre moderne: un entretien avec Elie Tenebaum

Merci à Elie Tenenbaum, agrégé d'Histoire, doctorant et assistant de recherche auLaboratoire de recherche sur la Défense de l'IFRI, d'avoir bien voulu répondre à quelques questions suite à la parution de son dernier Focus Stratégique (téléchargeable ici) consacré à l'appui-feu. Vous pouvez consulter cet entretien aussi sur l'incontournable Ultima Ratio.


Fruit d’un lent et long mouvement historique et, bien qu’il soit source de nombreuses innovations, le « modèle afghan » de l’appui-feu représente-t-il toujours un optimum ?


Le « modèle afghan », selon l’expression que Stephen Biddle a employé (pour le critiquer) repose sur trois piliers : des forces locales aguerries, un appui aérien rapproché (Close Air Support ou CAS) mais délivré à distance de sécurité par l’aviation, et des forces spéciales qui assurent la coordination du tout. Préfiguré au Kosovo (1999), introduit lors d’Enduring Freedom (2001), ce schéma opérationnel a aussi été appliqué, peu ou prou, en Libye lors de l’opération Harmattan (2011). Les progrès considérables réalisés par le CAS depuis une décennie, tant en matière de procédures de contrôle que de technologie de guidage terminal, permettent au « modèle afghan » d’atteindre aujourd’hui une efficacité militaire et une efficience – au regard des moyens déployés – sans précédent. Mais son intérêt, il faut le souligner, est d’abord d’ordre politique : l’absence de troupes au sol nombreuses permet de minimiser les risques liés aux pertes, de réduire l’exposition médiatique et de maximiser la vitesse d’intervention. Par ailleurs, l’opération Iraqi Freedom (2003) a plus généralement démontré à quel point le CAS pouvait agir, de concert avec des forces terrestres plus conséquentes, comme un multiplicateur de forces et permettre un tempo opérationnel optimal.

Il faut cependant nuancer cette vision panégyrique. Dix années d’opérations extérieures ont montré que si le CAS était un outil admirable et indispensable, il ne permettait pas de se dispenser d’un appui-feu terrestre, notamment d’artillerie de campagne, en particulier dans la partie élevée du spectre de la conflictualité. L’expérience afghane a montré qu’une intervention initialement « désengagée » peut très vite muter vers un conflit dans lequel il est nécessaire de contrôler le terrain face à un adversaire à la fois évanescent et agressif. La persistance du canon, et sa capacité de frappe de saturation deviennent vite indispensables.

Enfin, il faut rappeler l’exceptionnalité des conflits récents au regard de l’histoire. Si l’on étudie, sur un plan prospectif, les caractéristiques d’une guerre majeure face à un adversaire, sinon symétrique, du moins doté de moyens de défense aérienne efficaces, il apparaît vite que la permanence CAS ne peut être tenue pour acquise. Comme la Seconde Guerre mondiale ou la guerre de Kippour l’ont démontrées, les missions de supériorité aérienne (SEAD notamment) et de frappes stratégiques sont des prérequis à l’appui aérien, et doivent avoir donc la priorité sur celui-ci. Des forces terrestres trop habituées au soutien de la « cavalerie de l’air » pourraient ainsi se retrouver fort dépourvues le jour où le ciel ne sera plus vide au-dessus d’elles.

L’appui-feu est par essence interarmées (air, terre, mer), la culture propre à chaque armée jouant néanmoins un rôle dans les choix et les habitudes. Aujourd’hui, quels sont les facteurs qui déterminent les équilibres entre ces composantes ?

Il en existe plusieurs. Toutes les armées du monde proclament aujourd’hui haut et fort la complémentarité des appuis et la fin des rivalités interarmées – portées à leur pinacle au lendemain de l’Opération Anaconda en mars 2002. Le concept fondamental dont est censé procéder la répartition des rôles est celui de l’effet. En fonction de l’effet souhaité par le commandant opérationnel, telle ou telle forme d’appui doit être favorisée. Ainsi, si l’on cherche à détruire un bunker enterré, une bombe perforante à guidage laser sera probablement la meilleure option, en revanche s’il s’agit de neutraliser une mitrailleuse protégée par des sacs de sable, un simple obus de mortier devrait pouvoir faire l’affaire. Ajoutons que si cette règle de l’effet s’applique en priorité à l’interarmées, elle doit aussi jouer au sein d’une même arme : ainsi, le type de munitions employées en CAS (bombe GPS, bombe laser, passe au canon, etc.) devrait être dictée là aussi par une culture de l’effet et non du « plus aisé » ou du « plus pressé » comme c’est encore souvent le cas.

La pratique est cependant assez différente de cet idéal-type, et ce, pour deux raisons. La première est la culture d’armes qui évolue moins vite que la doctrine : souvent les troupes au contact tendent à rechercher l’appui « le plus proche », non pas dans la réalité tactique, mais dans la culture opérationnelle : le mortier d’abord, puis l’artillerie, suivis de l’hélicoptère et enfin seulement de l’aviation à voilure fixe. Cette mentalité est en train d’évoluer mais reste présente comme réflexe opérationnel. La seconde limite à la philosophie de l’effet est la disponibilité des moyens : nous nous sommes habitués en Afghanistan à disposer des moyens américains, considérables, qui garantissent une « quasi-permanence à l’air », ainsi qu’à des stocks de munitions suffisants, et, dans le cas de la Kapisa, à une artillerie toujours à portée – les deux batteries de CAESAR couvrant toute la province. Il faut être conscient des spécificités de cette situation et savoir que sur d’autres théâtres, la gamme d’appuis à disposition pourrait être considérablement réduite.

En abordant cette question de l’appui-feu, difficile de ne pas traiter des questions des matériels : plate-formes et munitions. Pour répondre aux besoins d’application du feu quelles sont les pistes techniques et technologiques de demain ?

Pour l’aviation, la grande révolution à venir est d’ores et déjà fixée : les drones armés, voire les drones de combat (UCAV), aptes à assurer un appui aérien permanent au profit des forces. Cette fonctionnalité, lorsqu’elle verra le jour, permettra au CAS de pallier son principal défaut : le manque de persistance sur le théâtre. Avec une autonomie de plus de 24 heures, des troupes infiltrées pourraient ainsi nomadiser pendant plusieurs jours en conservant toujours cet « ange-gardien » mécanique au-dessus de leurs têtes. Cela dit, des problèmes persistent : la vitesse du drone et sa vulnérabilité à l’égard des défenses sol-air (MANPADs notamment), un choix et une charge d’armement encore limités (à quoi sert une si longue autonomie s’il ne peut tirer que deux missiles ?), et, enfin, l’extrême rareté des flottes actuelles du fait du coût encore prohibitif des appareils.

En attendant l’arrivée de ces futurs « anges-gardiens », la question du CAS reste en suspens : non contente de ne pas assurer le remplacement de l’A-10 (le seul appareil de CAS des flottes occidentales), l’US Air Force vient de diviser son parc par deux dans le cadre des récentes réductions budgétaires. Certains se tournent dès lors vers des solutions low cost de type avion de contre-guérilla (c’est le sens du programme LAAR de l’USAF) qui consisterait à disposer d’appareils faiblement motorisés mais à même d’assurer les missions d’appui-feu en contre-insurrection. Cependant, il n’est pas certain que son intégration à la connectique moderne (C4ISTAR) n’annule pas vite l’avantage économique dont il est la raison.

Pour ce qui est de l’artillerie, les choses sont plus complexes : la frappe en profondeur, via le LRU (70 km de portée), a largement concentré les efforts en R&D, délaissant ainsi un peu plus la problématique de l’appui direct aux forces. Et pour cause, la mobilité du feu a parfois primé sur la mobilité des canons eux-mêmes. Si les systèmes d’armes d’artillerie (CAESAR, Archer) sont relativement mobiles et autonomes, ils ne sont ni aérotransportables ni tout-terrain. L’expérience afghane a montré que l’artillerie légère de type 105mm, démontable et transportable, à dos d’homme s’il le faut, n’était pas nécessairement une technologie vétuste – le bilan du L118 Light Gun britannique en est un bon exemple. Enfin, il est clair que l’avancée technologique majeure à venir – et, à vrai dire, déjà largement déclenchée – pour l’artillerie est celle de la précision. Dans le contexte politique et médiatique des conflits contemporains les dommages collatéraux sont devenus un poids considérable sur les appareils opérationnels, et l’appui-feu terrestre ne peut que difficilement être employé en contexte urbain – ce fut le cas lors de la seconde bataille de Falloujah (2004) mais parce que la ville avait été préalablement vidée de sa population. La précision pourrait donc être un véritable « game changer » pour l’artillerie. Cependant elle se heurte actuellement à des coûts prohibitifs, comme ce fut d’ailleurs le cas pour l’aviation dans les années 1980 et 1990 avant que les PGM [Precision Guided Munitions] ne voient leur prix se réduire. Aujourd’hui un obus Excalibur coûte près de 10 fois plus qu’une JDAM à guidage GPS. A ce prix-là, le « tout-précision » ne pourrait se faire qu’à la condition d’une réduction considérable des stocks, et donc de la perte partielle du principal atout de l’artillerie, c’est-à-dire la capacité d’appliquer un volume de feu massif dans la durée.


Enfin, pour ne pas oublier l’anniversaire des 70 ans de la création de l’arme des Transmissions, quelle est l’importance dans l’appui-feu des transmissions (et peut-être plus globalement du C2) ?

Les transmissions sont naturellement un maillon indispensable de la chaîne d’appui, ce sont elles qui ont permis l’émergence du tir indirect au début du XXe siècle et le découplage entre batterie et observateur. Aujourd’hui, pratiquement tout tir d’appui utilise des coordonnées satellites transmises au centre de direction des tirs automatisé. Mais la sphère informationnelle dépasse le simple domaine de l’acquisition des cibles. Ce savoir est donc primordial, mais il doit aussi se démocratiser au sein des armées pour répondre aux besoins de décentralisation des demandes d’appui. Alors que le groupe de combat est bien souvent l’unité au contact, l’arme des transmissions ne peut pas toujours assurer la présence d’un opérateur pleinement formé aux procédures et aux technologies de contrôle. A travers la déconstruction du contrôle terminal – possibilité pour de nouveaux observateurs de guider des tirs en interarmées – c’est aussi la fonction de transmetteur qui évolue. Celle-ci joue très certainement son rôle le plus central dans une autre tâche de prime importance : la déconfliction 3D, tâche ardue qui consiste à éviter la collision entre vecteurs, ou entre vecteurs et projectiles opérant simultanément dans l’espace de bataille. En effet, dans une opération complexe l’ensemble des moyens d’appui peuvent se combiner (mortier, artillerie, hélicoptères, aviation) en une même action. La déconfliction est alors un enjeu vital et, à terme, ne pourra être assurée que grâce à des transmetteurs aiguisés, capables de maîtriser une gestion dynamique de l’espace de bataille.

Montauban et Toulouse : femmes, mères et familles de militaires, je ne vous oublie pas... (+ MAJ 2)

Non, rien (c'est d'ailleurs le problème d'un côté il y a tout, et de l'autre, il y a rien...). Tout est dans le titre.

Que vous soyez concernés par les drames de Montauban ou de Toulouse, je ne vais pas suspendre pour vous ma campagne électorale, instaurer une minute de silence dans les écoles, je ne vais pas organiser en moins de deux heures un voyage vers Toulouse (sans passer parMontauban).

Ok, ce n'est que par ce simple billet de blog et c'est bien peu. C'est même désespérément peu.

Et pourtant, cela semble déjà beaucoup par rapport au "service minimum compassionnelle" (pour ne pas dire l'absence de compassion) de l'élite politique vis à vis des drames (arrêtons de classer cela dans la case "faits divers") qui ont frappé récemment des militaires.

Simplement, que vous soyez l'épouse, la compagne, la mère, la famille, les proches, soyez-sursque je ne vais pas vous oublier et que je vais vous accompagner par la pensée et la prière.

PS : mes prières accompagnent aussi les 4 victimes de ce matin.

MAJ 1 : tout arrive (pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt ?). Le président Sarkozy (j'espère que cela ne sera pas le candidat Sarkozy, mais le président, et qu'il ne sera pas suivi par d'autres candidats dont les déclarations du jour tranchent avec le silence des jours passés) devrait se rendre prochainement à Montauban (Europe 1).

MAJ 2 : pour info, petit échange (merci sincèrement à eux de me répondre) avec le compte Twitter du ministère des Affaires étrangères et européennes, afin de faire "un peu" changer les choses...

samedi 17 mars 2012

Hervé Coutau-Bégarie : un testament d’avenir

C'est tout naturellement que je publie ce manifeste qui appelle à soutenir une école stratégique française indépendante afin de continuer l'oeuvre à laquelle Hervé Coutau-Bégarie a tant inlassablement contribué, en particulier via la revue Stratégique et l'Institut de Stratégie Comparée (ISC).
Hervé Coutau-Bégarie, fondateur de l’Institut de Stratégie Comparée et président de l’ISC-CFHM, est mort le 24 février 2012. La perte est affreusement cruelle pour sa famille, à la douleur de laquelle nous nous associons de tout cœur. Mais le courage avec lequel il a affronté la maladie nous montre, par delà le deuil, le chemin de la confiance et de l’énergie. Cette disparition est une immense perte pour la pensée stratégique. Là encore pourtant, l’espoir doit l’emporter sur la peine. L’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie est bien vivante. Elle n’est pas derrière lui mais devant nous. D’abord parce qu’il laisse une trentaine de livres à publier, les uns de lui, d’autres dont il assurait la direction ou la codirection, d’autres enfin qu’il avait retenus pour sa collection. Ensuite parce que nous n’avons pas fini, à très loin près, de lire et de relire Hervé Coutau-Bégarie. C’est tout un processus de réédition, de classement, d’études qui commence. Du gigantesque corpus établi sur trois décennies, il s’agit maintenant d’extraire un ensemble de textes canoniques par décantation des éléments contextuels.

L’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie, c’est aussi la revue Stratégique et l’Institut de Stratégie Comparée, l’ISC, une association indépendante à la fois soubassement des publications et accélérateur de particules intellectuelles, qui a donné et doit continuer de donner leurs chances aux jeunes talents. Le secret de cet institut, son Président le révélait dans un texte qui apparaît rétrospectivement comme son testament : « Une recherche stratégique qui n’a qu’un pôle étatique est infirme ; elle a besoin d’un pôle associatif, plus réactif, mieux capable de fédérer les multiples initiatives de petits groupes ou même d’individus qui s’efforcent, avec de très faibles moyens, de faire vivre la tradition de la pensée stratégique et historique française » - et de rappeler que l’ISC, dans le seul premier semestre 2010, a publié pas moins de 6 ouvrages totalisant 3258 pages, soit bien plus – et de très loin - qu’aucun organisme étatique travaillant sur le même créneau (article paru dans Stratégique n°99, 2010).

Le savoir, la culture et la vision d’Hervé Coutau-Bégarie nous manqueront. Mais l’élan qu’il a insufflé à la recherche en stratégie peut continuer. L’Institut et la Revue, dont la qualité est internationalement reconnue, évolueront. Maquette, diversification numérique, cartographie, nouveaux partenariats français et étrangers, les chantiers ne manquent pas, il les avait lui-même ébauchés. La Bibliothèque stratégique, Hautes études stratégiques, Hautes études militaires et Hautes études maritimes qui constituent les quatre collections dirigées par Hervé Coutau-Bégarie chez Economica seront reprises et développées. Elles constituent le corpus le plus important d’ouvrages relatifs aux questions stratégiques et à l’histoire militaire en langue française et continueront à publier des opus ayant vocation à enrichir une réflexion enracinée dans l’étude de la culture stratégique française et celle d’autres aires culturelles. En outre, nous poursuivrons la publication du corpus des écrivains militaires en langue française dont déjà plusieurs titres sont parus mais plusieurs dizaines d’autres attendent d’être publiés tant dans le domaine de la stratégie générale que des stratégies particulières, navale ou aérienne.

Ces évolutions nécessiteront une relève : elle existe, avec une moyenne d’âge qui la met en prise directe avec les défis actuels. Hervé Coutau-Bégarie, entre autres qualités, savait faire confiance et encourager. Il aura su, sans battage et avec des soutiens mesurés, faire monter autour de lui une génération de jeunes chercheurs et d’auteurs qui lui doivent énormément. Il a beaucoup sacrifié pour transmettre. Nous voulons maintenir et poursuivre. Tous, nous gardons à l’esprit ce qu’il ne cessait de nous répéter : la clé d’une recherche stratégique mature et objective, c’est l’autonomie de la structure qui la porte.

Hervé Coutau-Bégarie a continué à travailler jusqu’à l’extrême limite de ses forces, dictant encore des articles de son lit d’hôpital il y a quelques semaines.

Pour continuer son œuvre, l’ISC doit préserver son indépendance. Il ne le pourra pas sans moyens financiers. Nous lançons donc un appel à tous les membres de la communauté des stratégistes, qui prendra très bientôt la forme d’une campagne d’abonnement à la revue Stratégique, et d’adhésion à l’ISC. Lecteurs, élèves, étudiants, amis des pays étrangers, où l’œuvre d’Hervé Coutau-Bégarie était connue et appréciée : il dépend aujourd’hui de vous tous que le titanesque travail qu’il a accompli, et que nous souhaitons faire vivre, continue de porter ses fruits.

Pour l’ISC
Jérôme de Lespinois, Martin Motte et Olivier Zajec
(suppléants d’Hervé Coutau-Bégarie au cours de stratégie de l’École de Guerre)

CF Emmanuel Boulard (doctorant de l’EPHE), Jean-François Dubos (secrétaire de rédaction de Stratégique, doctorant de l’EPHE), CA (2S) Jean Dufourcq (docteur en science politique), Col. (T) Benoît Durieux (docteur de l'EPHE), LCL (A) Christophe Fontaine (doctorant de l'EPHE), Serge Gadal (chargé de recherches de l'ISC, docteur de l'EPHE), Col. (T) Michel Goya (chargé de conférence à l’EPHE), Joseph Henrotin (chargé de recherche à l'ISC, docteur en science politique), Olivier Kempf (Maître de conférences à Sciences Po Paris), Col. (A) Jean-Luc Lefebvre (doctorant de l'EPHE) LCL (A) Jean-Patrice Le Saint (doctorant de l'EPHE), Christian Malis (docteur en histoire), Valérie Niquet (maître de recherche à la FRS ), Col. (T) Jérôme Pellistrandi (docteur de l'EPHE), Col. (T) Philippe Sidos (doctorant de l'EPHE).

vendredi 16 mars 2012

Utilisations actuelles et futures des drones sous-marins

Publié en avant-première sur l'Alliance Géostratégique, je remercie T. S., chercheur en robotique sous-marine d’avoir bien voulu développer plus longuement un de ses commentaires posté sur mon billet introductif de la thématique "drones".

D’autres lecteurs intéressés peuvent eux aussi envoyer leur article sur ces questions (les sujets ne manquent pas...) à l’adresse alliancegeostrategique@gmail.com. Nous les publierons avec grand plaisir.

Très discrets aux yeux du public, les drones sous-marins sont pourtant très exploités par le monde civil et commencent à faire parler d’eux dans une plus large mesure. Les grands acteurs militaires se penchent assez attentivement sur la question de leur employabilité dans différents domaines d’actions.

Les drones sous-marins, qu’on retrouve sous la dénomination d’Unmanned Underwater Vehicles (UUV) dans la littéraire anglophone, peuvent être classés selon différents critères. Le premier retenu ici est l’autonomie du véhicule :
  • ROV: Remotely Operated Vehicle. Un lien physique (un câble) relie le robot à l’opérateur, couramment dans un navire de surface. L’opérateur contrôle entièrement l’engin, l’autonomie décisionnelle est donc nulle. Par contre, l’autonomie énergétique est très élevée ce qui permet d’effectuer de longues missions d’observation ou d’interaction directe avec l’environnement. Ce type d’UUV est souvent utilisé pour des interventions en hauts fonds.
  • AUV : Autonomous Underwater Vehicle. Le robot n’est pas physiquement relié à une base d’opérations. L’opérateur peut contrôler tout ou partie des actionneurs via des communications sans fil. Ces dernières étant très coûteuses dans le milieu sous-marin, l’engin bénéficie en général d’une grande autonomie décisionnelle, pour s’adapter aux éventuels changements de l’environnement.
Le type de propulsion du robot sous-marin est fréquemment contraignant pour certaines missions. Ce critère permet donc d’établir une autre classification des drones sous-marins. La propulsion à hélice (type torpille) est la plus courante car elle permet d’évoluer à bonne vitesse. Le type glider (planeur sous-marin) est plus lent mais très peu couteux en énergie, augmentant d’autant l’allonge. Les bouées sont plus sensibles aux courants, à moins d’être ancrées dans le sol. D’autres types de propulsion sont imaginables et potentiellement étudiés, comme l’utilisation de la cavitation pour atteindre des vitesses très élevées (à l’instar des torpilles russes Shkval). Enfin, la taille ainsi que la masse immergée des engins terminent notre classification. Les drones sous-marins vont du petit robot biomimétique de quelques grammes au sous-marin autonome de plusieurs dizaines de tonnes.

mercredi 14 mars 2012

Afghanistan : quand les messages ne passent plus, même en interne... (+MAJ)

Un évènement isolé + un évènement isolé + ..., au final, cela peut dessiner une tendance. Aujourd'hui, une anecdote rapportée d'Afghanistan ne serait-elle le symptôme d'un mal plus profond ? Car quand les messages ne sont même plus compris en interne, le cas est grave.

Pour décrire brièvement la situation : aujourd'hui, le secrétaire à la Défense Leon Panetta effectue une visite surprise en Afghanistan dans un contexte difficile. L'objectif est de rassurer les alliés et partenaires, ainsi que ses propres troupes.

Or, l'ambiance est complexe après les récents tirs "vert sur bleu(s)" (cf. ici pour une explication rapide de cette expression), la vidéo de l'urination de Marines sur des cadavres, les manifestations suite à la profanation de Coran et le militaire américain qui tue 16 civils afghans.

C'est dans ce contexte que des Marines américains ont reçu l'ordre de leur supérieur de laisser leurs armes dans leurs tentes pour assister à un discours prononcé par le SECDEF Panetta au Camp Leatherneck dans la province de l'Helmand. Un petit coup de boost au moral n'est pas de trop pour ces militaires.

Or, cette décision a été particulièrement incomprise (montrant l'ambiance pesante de suspicion qui règne). Pour les Marines, elle est la marque d'un manque de confiance de leurs supérieurs (un affront) alors qu'une haute autorité les visite et que pourtant, ils sont habitués à vivre en permanence avec leurs armes.


Fêter Thanks Giving au mess n'empêche pas de garder avec soi son arme

Dans une moindre mesure, les militaires français ont développé une philosophie assez similaire avec la généralisation de l'ISTC (Instruction Sur le Tir de Combat) : le militaire qui porte son arme en permanence sur soit n'est pas un danger pour les autres en appliquant rigoureusement certaines règles de sécurité.

Or, il ne s'agirait simplement que de mettre les Marines à l'égal des quelques militaires afghans qui seront aussi présents lors de ce discours de Panetta et qui eux, seront désarmés (on est jamais trop prudent, surtout ces derniers temps, l'effet mimétique des tirs "green on blue" n'étant pas à exclure).

Quand la suspicion et l'incompréhension règnent même au sein de ses propres troupes, la situation n'est pas saine. La machine de communication de l'ISAF que l'on savait peu forcément efficace vis à vis des audiences externes (communauté internationale, etc.) semble bien aussi connaître des défaillances en interne. Sale affaire à suivre...

MAJ 1 : dans le même temps, les deux douzaines de militaires afghans présents étaient eux armés avec des ... écouteurs (cf. la preuve).

mardi 13 mars 2012

Entretien - "Les armes à énergie dirigée : mythe ou réalité ?"

Mars Attaque (toujours en recherche d'emploi : I need you !) remercie Bernard Fontaine, directeur de recherche émérite au CNRS et auteur d’un ouvrage sur les armes à énergie dirigée paru récemment chez L’Harmattan (commande possible en version papier ou numérique), d’avoir accepté de répondre à quelques questions.

Votre ouvrage traite des armes à énergie dirigée. Tout d’abord qu’est ce que c’est ?

On considère généralement qu’une arme est à énergie dirigée lorsque l’action de cette arme est produite par un faisceau d’ondes électromagnétiques qui se propage à la vitesse de la lumière avec une grande directivité et qui peut être concentré sur une cible à grande distance. Ce type d’arme répond ainsi à une demande permanente des militaires : toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus fort. On peut rajouter : toujours plus précis (pour réduire les dégâts collatéraux) et toujours plus économique.

Il s’agit essentiellement des différents types de lasers et des faisceaux de microondes. On considère aussi les faisceaux de particules (protons, neutrons, particules alpha, etc.) comme de l’énergie dirigée du fait de leur directivité et de leur capacité à être concentrés à distance bien qu’il ne s’agisse pas d’un rayonnement électromagnétique. Par extension, on considère les canons à rail électromagnétiques comme de l’énergie dirigée bien que l’obus ou le missile lancé soit généralement à effet cinétique sur la cible, car dans ce cas l’action du lanceur est basée sur de l’énergie électromagnétique. On utilise, pour le lancement du projectile, les forces de Laplace engendrées par une combinaison de champs EM pulsés, contrairement aux méthodes classiques basées sur des réactions chimiques.

Vous sous-titrez votre ouvrage : "du mythe à la réalité ?" Avec un point d’interrogation. Nous en serions donc encore seulement aux hypothèses ou alors des applications sont-elles déjà opérationnelles ?

dimanche 4 mars 2012

Saines lectures (et autres) : Corne de l'Afrique, Histoire, détente et Stratégie

Vous manquiez d'occupations le soir (sauf pour le jeudi 8 mars, où vous avez réservé votre soirée pour le Café Stratégique) ? Vous êtes en manque de saines lectures instructives et certifiées "intéressantes" ? Pas de problème, LA solution existe (il faut se rendre à l'évidence, je ne suis pas un très bon marketeur...).

- L'alliée Good Moring Afrika est à la coordination d'un numéro de Sécurité Globale (revue des Éditions Choiseul) sur la Corne de l'Afrique. De nombreux aspects sont traités (question de l'eau, des indépendances, piraterie, etc.). Parfait pour découvrir ou améliorer ses connaissances sur une zone qui devrait (re)faire parler d'elle dans les années à venir.

- La revue Guerres et Histoire de Sciences et Vie fait rééditer en hors-série un numéro sorti en 2004 consacré à la guerre d'Algérie. 50 ans ans après la fin de cet épisode douloureux (quelque soit la date précise retenue pour la fin de cette guerre...), cette revue donne des clés pour comprendre ces huit années de conflit : opérations spéciales, bataille des frontières, etc.

- En janvier 2011, l'Alliance Géostartégique avait sorti son premier cahier tentant de martyriser intellectuellement la notion de "guerres low-cost". Le dernier numéro du Journal de l'Intelligence économique de France 24 est consacré à ce sujet avec les interviews de Michel Goya et d'Olivier Kempf (ici en Anglais).

- Écrit par un ancien du GIGN, Roland Montins, le roman L'Antidote sort en format numérique (ePub ou PDF pour 6,99€). Plongez dans l'action au coeur du terrorisme en 2018 avec le Groupe d'Intervention Européen (GIE). Cet ouvrage présenté comme fictif et futuriste, ne l'est peut être pas tant que cela... A découvrir.

vendredi 2 mars 2012

Café stratégique n°13 : Philippe Chapleau sur les relations entre journalistes et militaires (08/03/12)

Pour son treizième Café Stratégique, l'Alliance Géostratégique reçoit Philippe Chapleau, journaliste au service Politique de Ouest-France, monsieur Défense du premier quotidien français en diffusion et tenancier du blog Lignes de défense.


Portée par un connaisseur depuis plusieurs années du monde de la presse et des armées, la discussion portera sur les relations qui unissent les militaires et les journalistes, relations de dépendance, relations cordiales mais aussi parfois de méfiance.

Que vous soyez journalistes, communiquants (Messieurs de la DICOD, des SIRPA ou de l'EMA/COM venez), militaires, citoyens attentifs, nous vous attendons nombreux le jeudi 8 mars à 19h au café Le Concorde (métro Assemblée nationale, 239 bd Saint-Germain à Paris).