jeudi 11 août 2011

Entretien - La politique étrangère dans la campagne présidentielle américaine

Edouard Chanot a bien voulu répondre depuis les Etats-Unis aux questions que je lui ai posées sur la place des affaires internationales dans le débat politique américain. Rédacteur en chef du webzine Le Bulletin d'Amérique, c'est un observateur attentif de la vie américaine qu'il tente de décrypter loin des clichés fréquemment lus, vus ou entendus.

MA - Dans un an, Barack Obama remettra en jeu son mandat. Quel bilan peut-on tirer de sa politique étrangère ?

EC - Pour comprendre la politique américaine, il est nécessaire de sortir d'un bipartisme trompeur, entre Démocrates et Républicains. La réalité est bien moins binaire. Pour comprendre la politique de Barack Obama, il faut connaître son parcours. Disons qu’il a une certaine idée de l’Amérique. Il est issu de la frange la plus progressiste du parti démocrate – il a été un « community organizer ». C’est un terme difficile à traduire, disons qu’il a été un militant communautaire, de ceux qui travaillent au cœur de la misère et qui, presqu’instinctivement, se sentent toujours impuissants face à elle.

En conséquence, il semblerait qu’il ait développé une pensée en système : le renforcement de l’Etat-providence n’est envisageable que si les Etats-Unis diminuent leur présence – ou leurs incursions – à l’étranger. Ce qui implique évidemment des coupes sèches dans le budget de la défense ou un retrait vis-à-vis d’Israël. Cette perspective est renforcée par une appréhension multiculturelle du monde et, de proche en proche, multilatérale. Le discours du Caire a dévoilé sa vision des affaires internationales, son retrait face au Printemps arabe aussi. En conséquence, il existe sans doute une « doctrine Obama » – certains pensaient qu’il en était dépourvu, sa politique étant avant tout jugée « naïve ». A mon sens, on comprend mieux sa politique étrangère à travers sa politique domestique. L’une comme l’autre peuvent être jugées assez idéalistes.
MA - Obama est-il donc l’anti-Bush… ?

EC - En fait, les Etats-Unis donnent souvent l’impression que la modération leur est étrangère. A l’interventionnisme de George W. Bush a succédé un multilatéralisme onusien. Mais cette absence de modération est typique de leur régime : le bipartisme, le « revolving door[1] », etc. incitent à des revirements quelquefois brutaux, bien que la réalité politique amène à tempérer les intentions – la « nouvelle science politique » que les Pères Fondateurs invoquaient pour apaiser la gouvernance de la Cité est loin d’être totalement défaillante. Cela n’interdit pas les interrogations quant à la prudence de l’administration Bush, bien sûr. Et on peut tout autant le faire devant la politique de Barack Obama : le multilatéralisme tient-il compte de la réalité des relations internationales, où l’unilatéralisme et la force se présentent bien souvent comme des nécessités ?

MA - Quelle place les candidats à la présidentielle de 2012 accordent-ils à la politique étrangère ?

EC - Il est fort probable qu’aucun concurrent démocrate ne se présente contre Obama. Côté républicain, les candidats à la primaire partagent une ligne beaucoup plus isolationniste que par le passé. Bien entendu, le candidat libertarien et texan Ron Paul – héritier de Taft, l’opposant à l’engagement des Etats-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale – est le plus radical : il se prononce pour le retrait de l’ensemble des troupes américaines à l’étranger. Mais ses chances sont minimes. Il ne rassemble pour l’instant que 10% des intentions de vote. En fait, il est concurrencé par Michelle Bachmann (16%), représentante du Minnesota et égérie du mouvement Tea Party qui, elle, talonne Mitt Romney. Celui-ci est pour l’instant le candidat le mieux placé (22%). Son discours n’est pas si interventionniste. La lassitude de l’électorat l’explique évidemment. Tim Pawlenty, l’ancien gouverneur du Minnesota, l’est beaucoup plus. Il a prononcé un discours au Council on Foreign Relations particulièrement musclé. Il est le candidat le plus critique de la politique étrangère de Barack Obama... mais n’atteint que 3% des intentions de vote.

Une remarque concernant le mouvement Tea Party. Il ne faut pas surestimer son influence – selon certains sondages, il ne représenterait qu’un tiers de l’électorat républicain, ce qui laisse une marge de manœuvre aux autres tendances conservatrices. Il est certain que son idéologie, avant tout fiscale, conduit les candidats à manier avec prudence tout interventionnisme de l’Etat fédéral. L’épisode douloureux du relèvement du plafond de la dette peut être imputé au mouvement. Mais ce bras de fer avec l’administration Obama a aussi rappelé que le mouvement Tea Party était avant tout constitutionnaliste. Or, la Constitution accorde bien à l’Etat fédéral la direction de la politique étrangère, comme Le Fédéraliste l’avait envisagé en 1787, face aux « dangers de la force et de l’influence étrangères » (John Jay, The Federalist Papers Number 2) alors que les puissances européennes cherchaient à profiter des faiblesses d’une Amérique devenue tout juste indépendante.

MA - On a souvent évoqué le rôle des Néoconservateurs dans la politique étrangère américaine. Qu’en est-il maintenant ?

EC - Leur rôle a souvent été exagéré. L’étiquette néoconservatrice a été banalisée, apposée à toutes sortes de personnes ou de politiques, par réflexe rhétorique trop facile. Aujourd’hui, ils se font plus discrets, pour plusieurs raisons. L’actualité est naturellement la première, du fait de l’impopularité des conflits afghan et irakien. L’establishment républicain tente de se démarquer d’un certain interventionnisme.

La meilleure analyse du Néoconservatisme a été publiée par un Français, Justin Vaïsse. Il est nécessaire de rappeler que ce mouvement, avant tout intellectuel, est né durant la guerre froide, initié par Irving Kristol, Daniel Bell ou encore Nathan Glazer. Ils étaient sociologues ou journalistes, provenant de l’extrême gauche anti-staliniste, bien plus intéressés par les questions de politique domestique – la réforme de l’Etat providence et la remise en cause de la contre-culture. Certains d’entre eux récusèrent le label « Néoconservateur ».

Ce n’est qu’à partir de la génération suivante que les Néoconservateurs se sont réellement penchés sur la politique étrangère, alors qu’ils entouraient le Sénateur Henry « Scoop » Jackson. Aujourd’hui, ils sont une école davantage reconnue. L’idée que la puissance américaine peut-être utilisée pour le bien – Robert Kagan titrait un des ses articles « L’Empire bienveillant » – ou la notion de changement de régime est partagée par de nombreux intellectuels, universitaires ou politiques. Par exemple, les Néocons’ écrivaient dans leurs propres revues (The National Interest ou Commentary Magazine, notamment) et appartenaient à leurs propres think tanks (l’American Enterprise Institute). Désormais, ils écrivent dans Foreign Affairs, la revue de référence en politique étrangère, et peuvent travailler pour la Brookings Institution ou les universités les plus réputées. D’une certaine manière, ils se fondent dans le décor et sont ainsi moins remarqués. Le Néoconservatisme fait davantage partie de la réalité institutionnelle américaine. Et on aurait tort de croire en leur disparition après l’intervention en Irak.
MA - Donc, pourrait-on envisager un recul des Etats-Unis sur la scène internationale à court et moyen terme ?

EC - Les capacités d’un Gouvernement sont par essence limitées. Si la nécessité contraint avant tout à des préoccupations domestiques, nous assisterons très certainement à une contraction de la volonté américaine à court terme. Pour le moyen et long terme, il est naturellement plus difficile de prédire leur avenir: leur présence – disons plutôt leur degré de présence – dépendra de leur capacité à surmonter leur crise interne, qui est à la fois politique, culturelle et économique. Mais, en fait, il me semble que cette question est avant tout celle du progressisme américain, celui incarné par Barack Obama : jusqu’où parviendra t-il à refaçonner le régime de ce pays ?

[1] A chaque changement de Présidence, près de 3.000 hauts fonctionnaires entrent dans l’administration. Il n’existe pas de haute fonction publique statutaire aux Etats-Unis.

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