lundi 15 février 2010

Une opération peu surprenante

Une des quatre lignes d’opérations (lignes de cohérence permettant d’atteindre directement ou indirectement les centres de gravité adverse) de la FIAS en Afghanistan est la communication stratégique. Elle est apparue en août 2009 en plus des précédentes : sécurité (ligne principale), développement et gouvernance (lignes secondaires). Pour l’opération Moshtarak, on peut dire qu’elle a fonctionné de manière particulièrement intense en amont et pendant la prise d’un des villages tenus par les Taliban dans le sud de l’Afghanistan. Pour reprendre un anglicisme « savant », un véritable buzz (sur Facebook, Twitter, les sites institutionnels, par les prises de parole de grands dirigeants, etc.) s’est construit de manière délibérée autour de cette opération.

Comme le note Olivier Kempf, la surprise aurait été réduite (c'est un choix du commandement) au profit d’autres considérations. Alors même que l’Histoire semble indiquer que c’est un des éléments constitutifs de la réussite ou non d’une opération : le Débarquement en Normandie et non dans le Nord-Pas de Calais, Pearl Harbour, l’offensive des Ardennes, les chars dans la Somme, etc. Il est possible d’aller plus loin tout en relativisant un peu.

La surprise, déclinable en plusieurs pans, est un des éléments permettant au chef de conserver sa liberté d’action. De même, en négatif, il est important de se préserver de la surprise adverse par des mesures de sûreté. Pour l’opération Moshtarak,
  • il est évident que le lieu est connu de tous. Les Taliban peuvent donc se retrancher en fortifiant leurs postes de tir, piégeant en pagaille les accès et les habitations, etc.
  • la date n’était pas tellement plus difficile à définir : entre les déclarations d’intention, les fuites et les préparatifs peu discrètes d’une opération à 15 000.
  • la doctrine n’est pas nouvelle et doit mener à une intégration civilo-militaire, un partenariat avec les Afghans, et une conduite sensée du développement et de la gouvernance.
  • la méthode employée était elle par contre beaucoup moins connue.
L’assaut par une soixante d’hélicoptères (et malgré les craintes d’en perdre sous les tirs de possibles armes anti-aériennes) au cœur du dispositif de défense ennemi est osé. Cela permet d’éviter de tout miser sur la lente et dangereuse progression terrestre en contournant les axes et les canaux d’irrigation entourant Marjah.

Concernant les civils, la gestion de la surprise (ou plutôt son absence) a des conséquences plus ambiguës. Ils sont au courant de l’imminence de l’opération et inquiets pour leur sécurité, beaucoup (environ 10 000 sur 80 000) préfèrent fuir vers la capitale régionale, Lashkar Gar. Tout le monde note alors (complètement à tort selon moi tant c’est incomparable) les similitudes avec la prise Fallujah en novembre 2004, vidée de ses habitants. L’absence de civils dans la zone de combats permet un emploi maximal et quasiment sans restriction de la puissance de feu. Or, les tracts largués, les appels à la radio et les déclarations officielles exhortent les habitants à rester chez eux. En effet, plus que la prise de Marjah, la phase la plus importante de l’opération doit se dérouler dans la foulée, au profit et surtout avec la population par la mise en place d’une shura, la réouverture du marché, les projets de développement de la culture du froment, etc.

Une autre finalité est de préparer les nations contributrices à des pertes inévitables. Ainsi, Gordon Brown en personne exhortait les Britanniques à "être forts", Robert Gates faisait de même, etc. Il faut se préparer au pire avec les IED et autres pièges : surtout que les Taliban ont refusé la Paix des Braves proposée par Hamid Karzaï et ne déposant pas les armes, indiquent qu’ils résisteront. Et si cela se passe bien ou moins mal prévu, tant mieux.

Cette stratégie de communication et l'absence relative de surprise sont donc pleinement dans la logique du général Mc Crysthal : limiter les pertes chez l’adversaire (déclarations sur la réconciliation, la réintégration, pas de body count, etc.), protéger la population en allant à son contact (1 500 policiers et militaires afghans devraient rester à Marjah), et proposer une alternative crédible et viable au projet insurgé pour un choix libre de la population en faveur du gouvernement afghan qui doit prendre en main la phase après.

samedi 6 février 2010

De l'emploi des forces armées au XXIème siécle

On ne présente plus le colonel Michel GOYA (carrière opérationnelle notamment dans des unités TDM, officier rédacteur au CDEF, docteur en Histoire, plume du CEMA, chercheur à l'IRSEM et obtention d'une chaire "Action terrestre" aux écoles de Saint-Cyr). Un CV largement plus complet est disponible ici.

Son dernier ouvrage intitulé : Res Militaris - De l'emploi des forces armées au XXIe siècle vient tout juste de sortir. Il se compose d'un ensemble de fiches traitant de sujets variés en quelques pages : les Britanniques en Malaisie, l'armée française à Alger, les armées face aux réformes, l'adaptation durant la Première guerre mondiale, etc. Dans chaque fiche, une problématique, un concept ou une idée maîtresse est magistralement développée autour des thèmes largement maîtrisés par l'auteur : campagne en Irak, Première guerre mondiale, conflits de décolonisation, etc.

Le style bien connu des nombreux ouvrages et études précédents se retrouve et l'intérêt est toujours aussi présent. Sans aucun doute à lire!

vendredi 5 février 2010

Surge militaire, surge civil et maintenant surge canin

Par analogie simpliste avec la situation irakienne, chacun emploie aujourd’hui à tort et à travers le terme de « surge » pour qualifier chaque envoi plus ou moins important de personnels de tout statut en Afghanistan. Or, le surge en Irak ne se limitait pas à l’envoi de renforts mais aussi à leur emploi raisonné au sein d’un plan opératif défini, dont le général US Odierno était le principal maître d’œuvre. Qu’importe, aujourd’hui en Afghanistan, le surge serait même canin !

L’envoi à partir de décembre 2009 de 30 000 militaires américains et d’un peu moins de 10 000 militaires européens serait UN surge (et non LE surge comme en Irak). Ce serait donc au moins le troisième surge depuis janvier 2008 : 20 000 militaires (dont 800 Français en Kapisa) au cours de l’année 2008 et 21 000 soldats américains (dont 4 000 formateurs) en février 2009 rien que sous les généraux Mc Niel et Mc Kiernan.

Le doublement du nombre d’employés civils des départements d’État américains sur l’année 2009 est le prémice d’un autre surge, civil lui : 570 fin 2008, 1 000 en août 2009 et Washington en espère 500 à 600 de plus pour août 2010. Ce chiffre qui peut paraître relativement bas n’est d’ailleurs pas dû uniquement au manque de volontaires, mais surtout à l’absence de personnes compétentes : il manque des administrateurs (chers à Lyautey ou Gallieni) sachant tout faire. Cela explique d’ailleurs le fait que les 2/3 sont stationnés à Kaboul (là où les administrations sont très spécialisées) et seulement 1/3 dans les provinces (là où il faut plus de polyvalence). Malheureusement, le pouvoir afghan n’a rien d’un pouvoir jacobin centralisateur…

Récemment, plusieurs articles parlent donc d’un « surge canin » (ici ou là) alors que, parallèlement au déploiement de troupes, les États-Unis s’apprêtent à déployer 219 chiens supplémentaires en Afghanistan pour juillet 2010 (ce qui représente un peu moins de 10% de leur capacité globale estimée à 2 800 chiens). À titre d’exemple, ils sont déjà 70 au sein d’équipes opérationnelles rien que dans le Sud. L’immense majorité des chiens est spécialisée dans la recherche d’explosifs que cela soit pour des fouilles à l’entrée des bases aériennes et des FOB ou lors des patrouilles sur le terrain pour découvrir des IED et des caches d’armes. Les chiens suivent un entraînement poussé pour être capables de détecter des types d’explosifs différents : du C4 à la cordite en passant par l’engrais agricole composant explosif de nombre d’IED. La probabilité qu’un chien les découvre est proche de 98% : mieux que certaines machines surtout quand ces dernières ne « bipent » que lorsque les IED comportent des éléments métalliques… D’autres chiens sont utilisés pour la surveillance des infrastructures contre les intrusions, en particulier sur les bases aériennes.

Alors que les Américains préfèrent des chiens ultra-spécialisés (certains sont capables de reconnaître jusqu’à une quinzaine de substances), les autres contingents, en particulier les Français, préfèrent des chiens polyvalents : à la fois robuste et dissuasif tout en ayant un flair développé. Un « détachement cynotechnique appui combat débarqué » à 5 personnels et autant de chiens opère au profit de chaque S/GTIA dans chacune des FOB françaises. Quelques chiens gardent en plus les entrées du camp de Warehouse à Kaboul, de la base de Kandahar dans le Sud ou encore de celles de Douchambé au Tadjikistan. Un ou deux chiens sont insères en plus dans les équipes de fouille opérationnelle spécialisée.

L’emploi du binôme homme-chien est au cœur de problématiques bien connues. Ainsi, un chien coûte 40 000 $ par an, ce qui est largement plus rentable que le déploiement de couteux systèmes de détection et de leur équipage. Un chien est employable 5 à 6 ans après deux ans d’éducation et seulement deux chiens ont été perdus en 5 ans d’opérations dans le Sud afghan. Aussi le besoin en nourriture protéinée est indispensable sur un théâtre exigeant pour les chiens, tant le tempo des opérations est élevé. Le soutien de l’homme étant évidemment prioritaire, la logistique pour ces incontournables compagnons n’est que secondaire et n’est pas sans poser des inquiétudes pour les responsables de ce contingent particulier. Le chien n’étant pas un animal respectable au sein de la société afghane (et musulmane plus généralement), des règles très strictes sont édictées quant à leur non-pénétration dans les habitations. Dans ce domaine aussi, l’afghanisation est à l’œuvre avec l’entraînement d’unités cynophiles afghanes (armée, police et anti-narcotique). Après plusieurs mandats en Afghanistan (des chiens en sont à leur troisièmes passage) et plusieurs dizaines d’IED découverts (certains en sont à plus de 35), ils quittent les forces armées et trouvent chez les vétérans des maitres attentifs tant ces derniers savent que les chiens de combat peuvent sauver des vies.

Ainsi, ce bref tour d’horizon permet de toucher du doigt différentes problématiques inhérentes aux opérations en Afghanistan sous un angle bien inhabituel. On attend tous maintenant que fleurisse l’expression de surge muletier, de surge de taliban modérés, de surge de formateurs “non combattants”, de surge etc.

Article publié simultanément sur Alliance Géostratégique.

Afghanistan: les victoires oubliées de l'Armée rouge

En décembre 1979, l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan marque le début d’une guerre de dix ans. Le 15 février 1989, la dernière colonne de l’Armée rouge traverse le "Pont de l’Amitié" à Termez. La 40e armée soviétique se retire et quitte définitivement l'Afghanistan.

Très rapidement après son entrée sur le théâtre, l’Armée Rouge doit s’adapter pour faire face à une guerre de contre-guérilla, qui plus est en montagne, à laquelle elle n’est pas préparée. L’état-major opère donc une série de mutations en profondeur, qui permettront des victoires longtemps occultées.

S’appuyant sur des témoignages inédits d'acteurs, le capitaine Mériadec Raffray, réserviste au Centre de Doctrine et d'Emploi des Forces (CDEF) analyse dans son nouvel ouvrage les procédés et tactiques utilisés sur ce théâtre difficile, théâtre sur lequel se trouvent trente ans plus tard les forces armées françaises.

RAFFRAY Mériadec, Afghanistan: les victoires oubliées de l'Armée rouge, Economica, Paris, 2010.