vendredi 5 février 2010

Surge militaire, surge civil et maintenant surge canin

Par analogie simpliste avec la situation irakienne, chacun emploie aujourd’hui à tort et à travers le terme de « surge » pour qualifier chaque envoi plus ou moins important de personnels de tout statut en Afghanistan. Or, le surge en Irak ne se limitait pas à l’envoi de renforts mais aussi à leur emploi raisonné au sein d’un plan opératif défini, dont le général US Odierno était le principal maître d’œuvre. Qu’importe, aujourd’hui en Afghanistan, le surge serait même canin !

L’envoi à partir de décembre 2009 de 30 000 militaires américains et d’un peu moins de 10 000 militaires européens serait UN surge (et non LE surge comme en Irak). Ce serait donc au moins le troisième surge depuis janvier 2008 : 20 000 militaires (dont 800 Français en Kapisa) au cours de l’année 2008 et 21 000 soldats américains (dont 4 000 formateurs) en février 2009 rien que sous les généraux Mc Niel et Mc Kiernan.

Le doublement du nombre d’employés civils des départements d’État américains sur l’année 2009 est le prémice d’un autre surge, civil lui : 570 fin 2008, 1 000 en août 2009 et Washington en espère 500 à 600 de plus pour août 2010. Ce chiffre qui peut paraître relativement bas n’est d’ailleurs pas dû uniquement au manque de volontaires, mais surtout à l’absence de personnes compétentes : il manque des administrateurs (chers à Lyautey ou Gallieni) sachant tout faire. Cela explique d’ailleurs le fait que les 2/3 sont stationnés à Kaboul (là où les administrations sont très spécialisées) et seulement 1/3 dans les provinces (là où il faut plus de polyvalence). Malheureusement, le pouvoir afghan n’a rien d’un pouvoir jacobin centralisateur…

Récemment, plusieurs articles parlent donc d’un « surge canin » (ici ou là) alors que, parallèlement au déploiement de troupes, les États-Unis s’apprêtent à déployer 219 chiens supplémentaires en Afghanistan pour juillet 2010 (ce qui représente un peu moins de 10% de leur capacité globale estimée à 2 800 chiens). À titre d’exemple, ils sont déjà 70 au sein d’équipes opérationnelles rien que dans le Sud. L’immense majorité des chiens est spécialisée dans la recherche d’explosifs que cela soit pour des fouilles à l’entrée des bases aériennes et des FOB ou lors des patrouilles sur le terrain pour découvrir des IED et des caches d’armes. Les chiens suivent un entraînement poussé pour être capables de détecter des types d’explosifs différents : du C4 à la cordite en passant par l’engrais agricole composant explosif de nombre d’IED. La probabilité qu’un chien les découvre est proche de 98% : mieux que certaines machines surtout quand ces dernières ne « bipent » que lorsque les IED comportent des éléments métalliques… D’autres chiens sont utilisés pour la surveillance des infrastructures contre les intrusions, en particulier sur les bases aériennes.

Alors que les Américains préfèrent des chiens ultra-spécialisés (certains sont capables de reconnaître jusqu’à une quinzaine de substances), les autres contingents, en particulier les Français, préfèrent des chiens polyvalents : à la fois robuste et dissuasif tout en ayant un flair développé. Un « détachement cynotechnique appui combat débarqué » à 5 personnels et autant de chiens opère au profit de chaque S/GTIA dans chacune des FOB françaises. Quelques chiens gardent en plus les entrées du camp de Warehouse à Kaboul, de la base de Kandahar dans le Sud ou encore de celles de Douchambé au Tadjikistan. Un ou deux chiens sont insères en plus dans les équipes de fouille opérationnelle spécialisée.

L’emploi du binôme homme-chien est au cœur de problématiques bien connues. Ainsi, un chien coûte 40 000 $ par an, ce qui est largement plus rentable que le déploiement de couteux systèmes de détection et de leur équipage. Un chien est employable 5 à 6 ans après deux ans d’éducation et seulement deux chiens ont été perdus en 5 ans d’opérations dans le Sud afghan. Aussi le besoin en nourriture protéinée est indispensable sur un théâtre exigeant pour les chiens, tant le tempo des opérations est élevé. Le soutien de l’homme étant évidemment prioritaire, la logistique pour ces incontournables compagnons n’est que secondaire et n’est pas sans poser des inquiétudes pour les responsables de ce contingent particulier. Le chien n’étant pas un animal respectable au sein de la société afghane (et musulmane plus généralement), des règles très strictes sont édictées quant à leur non-pénétration dans les habitations. Dans ce domaine aussi, l’afghanisation est à l’œuvre avec l’entraînement d’unités cynophiles afghanes (armée, police et anti-narcotique). Après plusieurs mandats en Afghanistan (des chiens en sont à leur troisièmes passage) et plusieurs dizaines d’IED découverts (certains en sont à plus de 35), ils quittent les forces armées et trouvent chez les vétérans des maitres attentifs tant ces derniers savent que les chiens de combat peuvent sauver des vies.

Ainsi, ce bref tour d’horizon permet de toucher du doigt différentes problématiques inhérentes aux opérations en Afghanistan sous un angle bien inhabituel. On attend tous maintenant que fleurisse l’expression de surge muletier, de surge de taliban modérés, de surge de formateurs “non combattants”, de surge etc.

Article publié simultanément sur Alliance Géostratégique.

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