mardi 31 mars 2009

Le Hezbollah face aux forces armées conventionelles (+MAJ)


Le dernier cahier de la recherche doctrinale publié par le Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces (CDEF) est paru. Intitulé Le Hezbollah face aux forces armées conventionelles. Perspective historique des modes d'action, il étudie l’évolution du Hezbollah dans ces différents aspects, son discours, ses objectifs et ses modes opératoires depuis sa création jusqu’à aujourd’hui.


Né dans le chaos de la guerre civile libanaise entre 1982 et 1985, le Hezbollah (Hizb’Allah, Parti de Dieu) est surtout connu en Occident pour les attentats spectaculaires auxquels il aurait pris part au Liban et à l’étranger. Il ne peut cependant être réduit à une milice terroriste agissant sur commande de l’Iran et de la Syrie. Le Hezbollah a en effet plusieurs visages.


C’est d’abord un parti politique islamiste, qui adhère au velayat e faqih (gouvernement du théologien-juriste) et qui suit les enseignements du guide suprême Ali Khamenei (non pas en tant que figure de l’État Iranien, mais en tant que marja transnational c'est à dire guide spirituel dont les croyants se doivent de suivre l’exemple et les enseignements). Ce parti est aujourd’hui totalement intégré au système politique libanais et axe son discours sur la résistance nationale face à Israël plutôt que sur l’instauration d’une république islamique au Liban.


C’est aussi un acteur de la vie sociale, économique et culturelle au Liban. Il contrôle de nombreuses fondations de bienfaisance, un réseau éducatif (écoles et scouts), un réseau d’hôpitaux de qualité et un réseau médiatique dont le fleuron est Al-Manar, sa chaîne de télévision. Il récupère également à son profit la symbolique religieuse du chiisme duodécimain pour légitimer sa lutte.


C’est enfin un mouvement armé qui a fait ses preuves tout au long de son existence. Dans les années 1980, il inaugure la pratique de l’attentat-kamikaze (« opérations de martyre ») à l’aide de véhicules transportant d’importantes charges d’explosifs. Tout au long des années 1990, il mène une guérilla d’usure contre Tsahal et l’ALS (Armée du Liban Sud, milice de supplétifs armée et entraînée par Israël). Mais c’est en 2006, à l’occasion de la « guerre de juillet » (Harb Tammouz) que la Résistance Islamique, la branche militaire du Hezbollah, fait étalage de son savoir-faire en enlevant deux soldats de Tsahal puis en infligeant plusieurs revers à l’armée israélienne lors de l’affrontement qui s’ensuit.


Fruit d’un important travail de compilation et de recoupement de sources, ce cahier intéressera toutes les personnes intéressées par les relations internationales de la scène moyen-orientale, les acteurs irréguliers et l’histoire contemporaine. Corrigeant plusieurs erreurs couramment faites, ouvrant de nouveaux débats sur le futur de la région et offrant des clefs d’analyse des oppositions avec les forces conventionnelles, ce travail est une approche pertinente du Hezbollah. A recommander!


MAJ1: pour toutes demandes, félicitations ou corrections, je peux servir d'intermédiaire avec l'auteur de l'étude.

dimanche 29 mars 2009

Des leçons de l’épisode nucléaire iranien


Un peu oubliée car moins mise en avant médiatiquement que d’autres sujets (l’annonce de la formule magique d’Obama en Afghanistan, celle du G20 face à « la crise », etc.), la question de la bombe nucléaire iranienne fait la une lors des nouvelles prouesses technologiques dans le secteur spatial ou missilier de Téhéran. Hier problème n°1 pour la stabilité du monde, aujourd’hui un des problèmes et si c’était une source d’apaisement (un équilibre figé alors atteignable) pour demain ?


Une myriade d’analystes et de services de renseignement tentent de recouper des informations pour arriver à déterminer la date d'une bombe nucléaire opérationnelle. Chaque conclusion diverge de la précédente et semble digne de foi. Un délai de l’ordre de deux à cinq années pour la réalisation de ce programme est réaliste. Les lancements, plus ou moins réussis, de vecteurs de portées différentes ou le maniement d’une politique déclaratoire qui fait trembler toutes les coursives diplomatiques mondiales, démontrent une certaine maturation de la dissuasion nucléaire iranienne. Ni les raids peut-être futurs de l’armée de l’Air israélienne, des missiles ou des drones (c’est à la mode), ni les « terrifiantes » sanctions de la communauté internationale, ni les vaines paroles de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique ne parviennent à briser l’inexorable engrenage (au mieux à le ralentir).


Alors la vraie question pour conserver une longueur d'avance n’est plus comment empêcher le développement de ce programme, mais comment vivre avec l'Iran doté de capacités nucléaires ? L’ensemble du globe a encore quelques mois pour trouver une réponse. L’un des avantages serait de pouvoir ressortir les pages écrites durant la Guerre Froide, oubliées avec la mode des contre-insurrections (qui sera à son tour oubliée un jour du fait des phénomènes d’évolution). Des solutions s’y trouvent peut-être. La fin de « l’exception régionale » du nucléaire israélien demandera une vraie remise en cause stratégique pour Israël, sans doute beaucoup moins pour d’autres états. Une nouvelle dissuasion à bâtir face à la rationalité d’un système de valeurs chiites duodécimaines et les conséquences des prochaines élections iraniennes seront des pistes d’études. L’Iran développe une ère d’influence régionale par l’aide apportée à certains mouvements de résistance. Par l’acquisition de ce nouvel outil de puissance, l’aura iranienne sera-t-elle mondiale ?


Ce feuilleton du nucléaire iranien doit aussi forcer à réfléchir sur l’incapacité de proposer des solutions négociées crédibles ou les difficultés de contraindre les volontés iraniennes par un consensus a minima entre les six (USA, France, Russie, Allemagne, Grande-Bretagne et Chine). Si l’emploi de la force permet sans doute des succès à court terme, le corps des Pasdarans iraniens se ferait un devoir de prouver leurs capacités dans un conflit irrégulier sur terre et sur mer. Ainsi ni le soft (même avec des mesures de rétorsion économiques) ni le hard power (même avec les flottes naviguant dans le Golfe Persique) ne semblent parvenir à contraindre les volontés.


La Corée du Nord, plus enclavée et plus menacée, avait réussi tant bien que mal à poursuivre ses recherches. L’aide internationale que l’on faisait miroiter contre l’arrêt du programme pouvait suffire vu les conditions de vie des populations. En Iran, le régime est différent, une frange de la société est occidentalisée, la famine est moins présente, les frontières sont déjà plus poreuses aux lueurs de la modernité, etc. L’appât du gain et/ou la mise en place de blocus ne sont pas aussi efficaces : la problématique du calque d’une même méthode à deux situations différentes peut être un axe de recherche sur l’échec des mesures prises contre l’Iran.


Ainsi la réflexion du « moi j’ai le droit car j’ai pensée à l’acquérir il y a 20 ans, mais toi tu n’as pas le droit car tu le veux maintenant » semble montrer toute sa limite. Plus globalement, c’est la place de la justice en Relations Internationales qui est au centre des débats. Des valeurs que l’on défend pour certaines sociétés, sont-elles dangereuses si elles sont universelles ? Une réponse honnête posera des problèmes de conscience.


Droits: Missile Shabab 3, www.armyrecognition.com


mercredi 25 mars 2009

Quand quelques centimètres font toute la différence


Moins célébré et cauchemardesque que le programme de l’A400M, le remplacement des SNLE (sous-marin lanceur d’engins) britanniques connait lui aussi quelques difficultés. Lancés à partir de 1994, les quatre bâtiments de la classe Vanguard (armés de 16 missiles Trident D5 ayant 11.000 kilomètres de portée et dotés au maximum de huit têtes nucléaires) doivent trouver des remplaçants. Le dernier de la classe Vanguard est déclaré opérationnel en 2001. En 2024, deux premiers seront retirés du service : la relève doit alors être opérationnelle pour s’amarrer aux pontons de la base de Faslane en Ecosse.

Mais mi-mars (venant confirmer quelques indiscrétions de la presse), la Commission des comptes publics de la Chambre des Communes a rendu public un rapport sur un problème qui guette cet ambitieux programme structurant pour la Défense avec ses 20 milliards de £. En effet, les missiles fournis par les Américains pour armer les nouveaux submersibles se révéleraient trop gros pour les logements.

Les successeurs de la classe Vanguard devront pouvoir être équipés de deux types de missiles. Le modèle actuel Trident D5 va connaitre des améliorations allongeant sa durée de vie de 2019 à 2042. A partir de 2034, il sera peu à peu remplacé par des nouveaux missiles dont la conception est confiée aux Américains. C’est là que réside tout le problème : ces missiles, successeurs des Trident D5, n’ont pas le même diamètre (un surplus d’une trentaine de centimètres). Or, ils seront tous les deux utilisés par la même classe de sous-marins : les successeurs des Vanguard.

Pour tenir les délais de livraison, les Britanniques doivent débutés la construction des bâtiments avant que les Américains ne finalisent la conception des futurs missiles. Comme le note le rapporteur de la Commission, Edward Leigh, il existe « un risque signifiant » pour que le diamètre des successeurs des missiles Trident D5 soit trop important. En conséquence, « le ministère de la Défense a pris des mesures pour réduire le risque […] mais il n’y a aucune garantie de succès ». Les contraintes budgétaires d’un tel « défi technologique » sont chiffrées et s’élèveraient à 330 millions de £ supplémentaires : chiffres « minimes » pour le moment par rapport au 47% de dépassement du budget initial (et trois ans de retard) du programme des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de la classe Astute.

Ce surcoût va beaucoup peser dans la balance à l’heure d’une décision gouvernementale définitive en 2014. En effet, les Britanniques réfléchissent au futur format de leur flotte (un passage de quatre à trois sous-marins surtout dicté par les coûts financiers des commandes). L’objectif reste de pouvoir assurer une présence permanente en mer (des patrouilles de SNLE sont en continu depuis 1968). L’exclusivité de la composante maritime pour la dissuasion nucléaire n’est pas remise en cause. Depuis 1998, les têtes nucléaires largables par avions ont disparus et les sous-marins sont les uniques vecteurs de l’arme nucléaire britannique.

Programme d’envergure, le renouvellement d’une flotte sous-marine s’étend sur une vingtaine d’années avec plusieurs grande décision (la prochaine est en septembre 2009 avec le choix du réacteur nucléaire). Comme dans tous programmes, la recherche d’un raccourcissement des délais est une des priorités. Mais, ces questions ne peuvent être circonscrites seulement aux problématiques industrielles de coordination entre des entreprises américaines et britanniques.

A l’heure où l’on parle d’indépendance de la politique nucléaire française et du non retour de la France dans le Comité des Plans nucléaires du Conseil de l’Atlantique Nord (OTAN), cet absence de contrôle direct du MoD britannique sur le développement d’une nouvelle classe de missiles doit faire réfléchir. Les Etats-Unis ont acquis le monopole de la réalisation des missiles nucléaires britanniques et semblent (je dis bien « semblent ») avoir promis l’interopérabilité entre les Trident D5 modifiés et les nouveaux : d’où la gêne et l’incompréhension britannique. Ils ont dictés leur calendrier par rapport aux dates de renouvellement de leurs équipements mais il est en décalage avec celui des équipements britanniques. Même si le risque de césure des capacités de dissuasion nucléaire existe, le rapport de la Commission prône uniquement (et avec flegme) un contrôle plus effectif des Britanniques sur le programme mais pas de véritable révolution.

dimanche 22 mars 2009

De la distance en opérations


Moments particulièrement délicats, les changements de milieu sont redoutés. Les nageurs de combat en combinaisons sombres sont vulnérables lorsqu’ils sortent de l’eau pour aborder une plage de couleur claire. Lors d’un poser d’assaut, l’appareil est à la merci de tirs d’armes de petits calibres et il en est de même lors d’extraction de forces terrestres par des hélicoptères en vol stationnaire. Il faut alors quitter le plus rapidement possible ces périodes transitoires d'entre deux pour gagner un contexte tranché mieux maitrisé.


Cette complexité est réelle lorsque l’on étudie les milieux, il en est de même pour le rapport à la distance d'engagement. Le « visage » de la guerre d’aujourd’hui n’apporte rien de révolutionnaire sur cette question et l'Afghanistan ne semble pas être l'Irak.


Dès l’enfer de « Verdun », le danger provenait aussi bien de loin que de près. Les obus et les shrapnels, lancés hors du champ de vision, n’étaient annoncés que par un sifflement précédant l’explosion : cela surgissait à l’improviste. Les batailles au corps à corps de faces à faces d’homme à homme étaient l’œuvre des nettoyeurs de tranchées, de groupes d’assaut lors de coups de main et plus rarement d’unités de ligne dont les survivants avaient survécus aux rafales de mitrailleuses en montant à l’assaut des tranchées.


Puis l’ennemi s’échappe et se fond pour éviter la confrontation face au déséquilibre de la puissance de feu : il devient un fantôme insaisissable. En contre-rébellion, les échanges de coups de feu contre des ombres lointaines se multiplient et les rares contacts à courte distance finissent alors au corps à corps pour déloger l'adversaire. L’avion et la radio, entre autres, permettent de voir, de connaitre et de prévoir de l’autre côté de la colline. Et à la même période, face au Pacte de Varsovie, c’était aussi la destruction au loin qui était privilégiée. Les distances du quotidien en opération tendaient à s’étirer : le contact physique et même visuel ami/ennemi se faisait rare.


La technologie par la numérisation permet encore plus cette élongation des distances et cette perte du contact visuel. Grâce à des cartes informatiques réactualisées, des flux d’échanges d’informations ou le déclenchement simplifié des feux indirects, les hommes peuvent couvrir des espaces de plus en plus vastes avec toujours moins d’hommes : une section peut tenir le même terrain qu'une compagnie. Bien qu’en vu du combat en zone urbaine, le tir instinctif à courte distance est mis à l’honneur, les nouveaux fusils ne peuvent plus être munis de baïonnettes : le contact rapproché entre les adversaires est alors un échec. Les pions rouges sont détruits avant que les pions bleus ne puissent les apercevoir. Les combats urbains de haute intensité dans les villes irakiennes viennent rappeler que malgré les apports de la technologie, il ne faut pas négliger le combat rapproché à conjuguer avec les armes de précisions à longue portée.


Mais les « guerres bâtardes » sont apparus établissant un nouveau rapport à la distance, non envisagé dans les schémas futuristes. En Afghanistan, où les combats sont plutôt en zones rurales qu'en villes, les TIC (Troops in contact) se déroulent généralement entre 600 m et 2 000 m. Pour l’armée française, le VAB avec un canon de 20 mm, les fusils de sniping, les mitrailleuses ANF 1 ou Minimi et les FAMAS avec des optiques de visée pour gagner en précision à plus de 300 m sont sur-employés. Sur le même théâtre, les embuscades les plus meurtrières sont celles où les insurgés sont imbriqués avec les éléments pris à partie pour rendre trop dangereux l’appel aux moyens aériens. Enfin, au cours des convois, les crêtes au loin sont autant surveillées que les abords de la route pour repérer un IED.


Ainsi, bien plus que la prédominance d’un type d’engagement (longue ou courte distance) cela semble plutôt être le passage de l’un à l’autre dans un laps de temps très court. C’est un changement permanent du secteur de concentration de tous les sens (surtout vue et ouïe) qui caractérise les opérations. Cela s’ajoute à une autre réversibilité plus connue qui est celle de la posture résumée dans le slogan : « smile, shot, smile ». En effet, le combattant débarqué au contact de la population échange une poignée de main avec un habitant puis peu de temps après doit pouvoir riposter à des tirs fugaces d’harcèlement. Ces changements incessants obligent à sortir de schémas académiques qui ont souvent été réfléchis, enseignés et planifiés séparément alors qu’ils sont sur le terrain souvent superposés. Et encore une fois "le croisement d'éléments de nature différentes" ou hybridation semble assez bien définir une situation trouble!