jeudi 8 octobre 2009

En Afghanistan, ils ne sont pas à l'abri des mêmes débats que chez nous


Ni la situation sécuritaire, ni l’état des Forces nationales afghanes de sécurité (ANSF) ne sont comparables, mais de récentes prises de position pourraient sous-entendre l’apparition d’un débat bien de chez nous. Ce serait la version afghane des débats sur la pertinence d’accoler « intérieure » ou « extérieure » à « sécurité » ou « défense », sur l’emploi des trois armées sur le territoire national, de la Gendarmerie nationale en OPEX, etc.

Ayant eu la possibilité d’écouter un officier américain sur la doctrine US de contre-insurrection (COIN), j’ai été frappé par quelques points qui tranchent avec une vulgate (sans doute un peu MA vision) trop caricaturale. Il s’agissait du colonel Roper qui dirige le COIN Center (à Fort Leavenworth) crée en 2006 sous l’impulsion des généraux Petraeus et Mattis. Cet organisme a pour mission d’améliorer la capacité des forces à agir dans un environnement de COIN (en s’appuyant sur les FM 3-07 et 3-24).

Rien de révolutionnant dans sa présentation du tryptique : « clear an area (Offense) AND hold with security forces (Defense) AND build support and protect the population (Stability) » et non « clear THEN hold THEN build ». Rien non plus de nouveau d’annoncer que cela ne sert à rien de nettoyer une zone si on ne possède pas les moyens de tenir et reconstruire.

Par contre, ses déclarations sur l’importance de faire un effort sur les POMLT sont intéressantes. Les POMLT (Police Operational Mentoring and Liason Team) ont pour mission de conseiller, entrainer et soutenir les unités de la Police nationale afghane (ANP) afin de les amener à un niveau d’efficacité opérationnelle leur permettant de prendre en compte de manière autonome leurs missions. S’il a aussi parlé de l’intérêt des OMLT et des ETT (qui ont la même mission mais pour l’Armée nationale afghane ou ANA), cette insistance pour les POMLT est plus rare et peut être analysée de différentes manières.

Un important effort a été fait (avec plus ou moins de résultats) pour une montée en puissance de l’ANA mais la Police nationale afghane (ANP) ne bénéficie pas du même taux d’encadrement donc « envoyez plus de mentors ». Cela tombe bien, l’arrivée sur le terrain des premières POMLT françaises de la Gendarmerie mobile est imminente. Rejoignant ainsi la cohorte des policiers norvégiens ou finlandais insérés dans les PRT, des POMLT étrangères (principalement US), de la mission EUPOL à partir de 2007 de formation (avec des instructeurs principalement allemands mais aussi canadiens), etc. Particulièrement dangereuse (les policiers afghans sont la cible de la majorité des attaques des insurgés), cette mission manque de moyens alors que dans son récent rapport le général Mc Crystal souhaite le doublement des effectifs de l'ANP (pour atteindre 160 000 hommes sans date précise) avec hausse du "partnering" plus que du "mentoring" (j'y reviendrais dans un autre billet).

Mais le cas français est aussi significatif d’une autre problématique. Les gendarmes envoyés en Afghanistan ne sont pas comptabilisés dans le nombre de militaires en OPEX (mesure politicienne pour ne pas faire enfler les chiffres, mais pas uniquement). La Gendarmerie nationale est de plus dans une période assez floue quant à son avenir avec son récent rattachement organique au ministère de l’Intérieur sans perte du statut militaire pour ses membres. En Afghanistan, les POMLT ne seront pas sous la même structure de commandement (car sous commandement militaire pour des « missions militaires ») que les gendarmes déjà déployés au sein des GTIA pour des missions de Police militaire (la Prévôté) ou scientifique.

Mais surtout, faire effort sur l’ANP est le signe d’une réflexion américaine plus profonde et en évolution permanente sur la nature de l’insurrection. Faire appel aux policiers pour rétablir et maintenir la sécurité démontre que les Américains tendent à analyser l’insurrection aux milles visages comme découlant principalement d’une instabilité économique ou sociale interne bien plus que d’un terrorisme armé par des éléments extérieurs. Ce qui n’est pas une mince évolution. Le colonel Roper employant la conclusion de Bernard Fall : “When a country is being subverted it is not being out-fought; it is being out-administered”. Face à cela, la priorité est donc de répondre par le développement des « forces du dedans » en anticipant aussi sur un long terme positif où l’armée (les « forces du dehors ») sera en deuxième rideau sur le territoire national. Pour reprendre la distinction du comte de Guibert en 1790 dans son Traité de la force publique. Même si ce dernier préconisait « les deux forces doivent être réunies quand leur combinaison peut plus efficacement apaiser le trouble ». Une étude comparée des doctrines (rédigées par des consultants de SMP pour la petite histoire) de l’ANA et de l’ANP gagnerait à être réalisée pour connaitre leur champ d'intervention respectif.

En conclusion, je souhaite retranscrire une réflexion de l’Inspecteur Générale des Armées-Gendarmerie (ce qui interpelle autant que cela donne un poids certain à sa réflexion !) lors de la récente Journée d’études de l’IRSEM : « Si les armées (Terre, Air, Mer) sont exclusivement réservées pour l’action à l’extérieur du territoire national, c’est le moyen le plus sur de les couper de la Nation dont elles sont issues. Alors même que leur mission n°1 est de défendre l’intégrité de ce territoire (sur place par les MISSINT ou hors des frontières) ».

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